Historique
En 1989, la loi fédérale obligea pour la première fois les fabricants à imprimer des avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes. À cette époque, quatre messages étaient requis, en lettres noires sur fond blanc (ou inversement). C’était déjà un progrès considérable par rapport aux « avertissements » presque invisibles que les cigarettiers avaient négociés avec le gouvernement dans les années 1970. Ces avertissements volontaires incluaient ce conseil ridicule destiné aux fumeurs : « Évitez d’inhaler. »
En 1994, le nombre de messages obligatoires passa à huit. Les nouveaux avertissements occupaient les 35 % supérieurs de chaque face principale du paquet de cigarettes, avec un contenu sans équivoque :
- « La cigarette cause des maladies pulmonaires mortelles »
- « La cigarette cause des maladies du cœur »
- « La fumée du tabac cause chez les non-fumeurs des maladies pulmonaires mortelles »
- « La cigarette crée une dépendance »
- etc.
Ces avertissements se diffusèrent mondialement. Le système canadien devint un modèle pour des pays comme l’Australie, la Thaïlande et la Pologne, qui imposèrent des avertissements très similaires. Aux États-Unis et, plus récemment, au Parlement européen, les avertissements canadiens de 1994 inspirèrent plusieurs projets de loi.
Cependant, en 1995, la Cour suprême du Canada invalida de larges parties de la Loi réglementant les produits du tabac (LRPT), y compris les dispositions permettant à Santé Canada (le ministère fédéral de la Santé) d’exiger des avertissements sanitaires. L’arrêt de 1995 reposait notamment sur le fait que ces avertissements devaient être imprimés sans aucune attribution.
Suite à ce jugement, les fabricants continuèrent néanmoins à inclure les mêmes avertissements sur leurs paquets, bien que certains choisissent d’ajouter la mention « Santé Canada ». Cette décision des cigarettiers s’explique probablement par des considérations juridiques : comment se défendre en cas d’accusations de fraude commerciale ou de commercialisation d’un produit défectueux lorsqu’on a lutté pour le droit de ne pas avertir les consommateurs des dangers inhérents au produit ?
En 1997, le Parlement fédéral adopta la Loi sur le tabac, qui introduisait de nouvelles restrictions à la publicité du tabac et donnait au gouvernement le pouvoir de réglementer tant la présentation (emballage, présentoirs, etc.) que le contenu du produit.
Peu de temps après, les principaux organismes de santé au Canada, dont l’ADNF, lancèrent la campagne nationale « Le tabac OU les jeunes » pour réclamer une réglementation renforcée en vertu de la nouvelle loi — notamment de nouveaux avertissements obligatoires et efficaces sur les paquets de cigarettes.
En janvier 1999, le gouvernement fédéral proposa un nouveau système de messages pour susciter le débat public sur la question. Les messages proposés occuperaient 60 % de chacune des deux faces principales du paquet, mais le manque d’éléments graphiques et le langage assez technique des messages ne firent pas l’unanimité.
Quelques mois plus tard, la Campagne nationale réagit avec sa propre proposition : une série de messages très directs, accompagnés de photos, portant sur les divers dangers inhérents aux produits du tabac. Des maquettes des messages proposés furent imprimées et envoyées aux députés et autres décideurs.
En janvier 2000, le ministre fédéral de la Santé, M. Allan Rock, dévoila une nouvelle série de messages largement inspirés des propositions de la Campagne nationale. Il s’agissait d’avertissements sanitaires en langage courant, avec des photos, imprimés à l’extérieur du paquet, accompagnés de messages à l’intérieur du paquet portant notamment sur les méthodes pour cesser de fumer.
Après de nombreuses consultations, un projet de règlement en vertu de la Loi sur le tabac fut publié dans la Gazette du Canada et soumis au Comité permanent de la Santé de la Chambre des communes en mai 2000. À l’unanimité, le comité approuva le règlement sans amendements ; cette décision fut ensuite ratifiée par la Chambre le 8 juin dernier.
Le nouveau règlement entra en vigueur le 26 juin ; les fabricants avaient jusqu’au 23 décembre pour s’y conformer concernant les principales marques, intégrant ainsi les nouveaux messages à leurs chaînes de production. (Pour les marques détenant une part de marché inférieure à 2 %, un délai supplémentaire de six mois fut accordé.)
Le gouvernement fédéral remporta une première victoire dans le dossier de la contestation judiciaire de la Loi sur le tabac. En cour, les cigarettiers prétendirent que les délais pour se conformer à la nouvelle réglementation étaient trop serrés. Il est donc intéressant de noter que les premiers exemples des nouveaux messages furent repérés dans certains magasins au Québec dès la mi-décembre 2000, bien avant la date limite.
Description du nouveau système
Le système comprend des messages à l’intérieur et à l’extérieur du paquet. Les 50 % supérieurs de chacune des deux faces principales du paquet sont réservés à l’avertissement sanitaire extérieur — français d’un côté, anglais de l’autre. (Des dispositions similaires s’appliquent aux autres catégories de produits du tabac, comme le tabac à pipe, les cigares et le tabac à chiquer.)
Chaque message extérieur inclut une illustration (généralement une photo), le mot « AVERTISSEMENT » en caractères rouges ou jaunes, une courte phrase résumant le contenu du message (par exemple : « LA CIGARETTE CRÉE UNE TRÈS FORTE DÉPENDANCE ») et une brève explication (« Des études indiquent qu’il peut être plus difficile d’arrêter de fumer que de renoncer à l’héroïne ou à la cocaïne. »). Dans le cas des cigarettes, une série de 16 messages est requise ; pour les autres types de produits du tabac, représentant ensemble une part peu significative du marché canadien, le nombre de messages est réduit.
À l’intérieur du paquet, un message plus détaillé d’environ cinq paragraphes est présent. Sur les 16 messages intérieurs du système, huit portent sur les tentatives pour arrêter de fumer (raisons, méthodes, conseils) ; les autres précisent les dommages causés par le tabac. Par exemple, on trouve une réponse à la question suivante : « Est-ce que le fait de fumer peut causer des lésions cérébrales ? »
La fonction des messages
L’intérêt suscité par les nouveaux avertissements sanitaires dépasse largement nos frontières, notamment en ce qui concerne l’utilisation d’images percutantes. « Poumons noirs et pénis mou : la campagne choc du Canada contre le tabac » (Le Monde, 21 janvier 2000) résume bien la couverture médiatique de la question. Certains en auront sans doute conclu que le but du nouveau système d’avertissements sanitaires est de résoudre d’un coup la question du tabagisme chez les jeunes en montrant des photos-choc particulièrement dégoûtantes.
En réalité, l’objectif principal est de communiquer des informations de manière efficace. Au Canada, la plupart des consommateurs savent de manière générale que « la cigarette est mauvaise pour la santé » ; dans l’esprit des gens, l’association entre la cigarette et le cancer du poumon ou l’emphysème est assez forte. Cela dit, les consommateurs ignorent souvent l’importance des risques encourus : la cigarette tue près de la moitié des fumeurs à long terme, rendant le fait de fumer beaucoup plus dangereux que les activités de la vie courante avec lesquelles il est souvent comparé — conduire une voiture, traverser la rue, respirer l’air pollué d’une grande ville, etc.
De plus, plusieurs des risques associés au tabac sont peu connus du grand public : les cancers autres que le cancer du poumon, les maladies cardiovasculaires, l’impuissance et la gangrène, pour n’en nommer que quelques-uns. Combien de personnes savent que les maladies cardiovasculaires provoquées par le tabac font plus de victimes que le cancer du poumon ?
En ce qui concerne la fumée secondaire, les autorités médicales de nombreux pays s’accordent à dire que l’exposition représente un risque important pour la santé des non-fumeurs. Mais l’industrie du tabac a tellement bien réussi ses opérations de propagande sur la question — y compris en finançant clandestinement des recherches bidon — que la population est moins informée des risques qu’elle ne le devrait. Cinq des nouveaux messages portent donc sur les effets de la fumée de tabac sur autrui.
Les fumeurs ont-ils vraiment besoin de ces messages percutants et détaillés ?
Depuis longtemps, les cigarettiers font peu de cas de leurs obligations envers leurs clients. Ils continuent de minimiser les effets du tabac sur la santé des fumeurs et des non-fumeurs et cherchent à noyer les campagnes de sensibilisation dans un flot de publicités et d’activités de relations publiques de toutes sortes. Ils tentent de présenter la cigarette comme un produit normal avec un côté glamour, symbole de virilité, de liberté ou de féminité.
Cette fausse représentation a conduit à des centaines de poursuites civiles dans plusieurs pays. Aux États-Unis, les cigarettiers ont même dû s’engager à verser des dizaines de milliards de dollars aux 50 États en guise de compensation pour les coûts des soins de santé imputables au tabac mais assumés par le trésor public.
Dans un environnement toujours pollué par les efforts de désinformation de l’industrie du tabac, la communication d’informations véridiques n’est pas chose aisée. Il faut également tenir compte de la problématique de la dépendance : un consommateur qui se sent « accro » voudra tout naturellement éviter de voir des informations qui confirment ses pires craintes quant aux effets du tabac.
Malgré cette tendance à ignorer les avertissements, il est intéressant de noter que les nouveaux avertissements sanitaires suscitent des réactions positives chez les fumeurs interrogés en focus groups. La grande majorité des fumeurs préférerait ne pas fumer, et beaucoup ont l’intention de cesser de fumer dans un avenir proche. (Dès les années 1970, les sondages de l’industrie du tabac confirmaient cet état de fait.) L’appui des fumeurs est particulièrement fort lorsque les avertissements sanitaires sont accompagnés d’autres formes d’aide à la cessation.
Informations supplémentaires
Pour voir des exemples des nouveaux messages ou pour télécharger des images en haute résolution, consultez notre page d’images numérisées.
Pour accompagner les nouveaux avertissements, Santé Canada a créé un site internet à l’intention des fumeurs. Celui-ci se trouve à l’adresse www.infotabac.com, à ne pas confondre avec l’organisme québécois Info-tabac, dont le site est www.arrete.qc.ca.
Le site du Bureau de la lutte au tabagisme de Santé Canada fournit de nombreux détails sur les nouveaux messages sous la rubrique « Législation et réglementation du tabac ». Voir en particulier le libellé des règlements relatifs à l’étiquetage, ainsi que le document source montrant tous les avertissements extérieurs et celui montrant les messages intérieurs à imprimer sur les dépliants ou (dans le cas des paquets de 25 cigarettes) sur le tiroir.
Santé Canada consacre également une page aux recherches sur l’étiquetage, où l’on trouve plusieurs rapports intéressants concernant les réactions des focus groups, ainsi que d’autres études réalisées au cours de l’élaboration des nouveaux avertissements.
Les témoignages devant le Comité permanent de la Santé (du 30 mai au 7 juin 2000) incluent les représentations de Santé Canada, des organismes de santé, des porte-parole de l’industrie et d’autres groupes.
La Société canadienne du cancer a compilé plusieurs centaines de documents pertinents (travaux universitaires et autres) à l’intention des députés. Un résumé des preuves concernant l’impact des avertissements sanitaires et l’étiquetage des produits du tabac, ainsi que la table des matières de cette compilation, sont disponibles sous forme de documents Word [bientôt disponibles sur le site du Centre national de documentation].